Témoignage de Matthias Godart : entrepreneur et chercheur en cancérologie
Surfer sur la vague de la création d’entreprise et/ou du transfert de technologies me semble être une opportunité pour diversifier son portefeuille de compétences et pouvoir se laisser le choix de rebondir vers d’autres métiers en sciences dont on ignore l’existence.
Matthias Godart chercheur en cancérologie nous explique son parcours de création d’entreprise innovante et le support qu’il a pu avoir grâce aux ressources proposés par l’Université de Lyon.
Quelle est ton parcours de formation ?
Université Lyon1 : Licence STS (UCBL), Master GBCP (UCBL), Doctorat en biologie cellulaire et moléculaire (ED BMIC – Centre de recherche en cancérologie de Lyon – Centre Léon Bérard, équipe PLATEROTI)
FORMATIONS Supplémentaires : Académie de l’innovation (Pulsalys, 2018) et D2E (Diplôme Etudiant Entrepreneur- Beelys, 2019)
Nom du projet : STEMNESS Research
Peux-tu nous présenter ton projet ?
Les cellules souches et leurs dérivés offrent aujourd’hui des perspectives prometteuses dans le domaine de la médecine régénérative mais également dans le développement de nouveaux traitements anti-cancer. En conséquence, les chercheurs du secteur public et privé espèrent que l’étude de ces cellules permettra dans un futur proche de mieux comprendre comment certaines maladies se développent, de générer des cellules saines de qualité afin de remplacer celles défectueuses chez un patient ou bien encore d’identifier de nouvelles drogues plus efficaces que celles actuellement utilisées en thérapies conventionnelles. Cependant, les équipes de recherche qui cultivent des cellules souches sous forme d’organoïdes* rencontrent de nombreuses contraintes pouvant biaiser leurs résultats (dérive des modèles utilisés, milieux de culture trop « artificiels », etc…). Dans ce contexte, l’entreprise de biotechnologies STEMNESS Research proposera aux laboratoires de recherche un nouveau système de culture 3D permettant d’optimiser la culture d’organes miniatures (organoïdes) en termes de performances et de fiabilité.
*organoïdes = « mini-organes » cultivés en 3D (par opposition à la culture cellulaire classique réalisée en 2D). Une des manières de les obtenir est d’isoler d’un tissu des cellules souches fraîches qu’on cultive ensuite dans un milieu nutritif leur permettant de maintenir leur fonction. Ainsi, ces cellules donneront naissance à d’autres cellules dites « filles » qui participeront à la formation et à la fonction des mini-organes en question. Ex : organoïdes intestinaux (Sato T. et al., Nature 2009).
Comment est-elle venue l’envie d’entreprendre et l’idée ?
Pour être honnête, pendant mon doctorat de biologie, je n’avais pas particulièrement envie d’entreprendre. J’avais plutôt envie de faire émerger de nouvelles idées qui pourraient s’avérer bénéfiques pour les chercheurs qui cultivent des organes miniatures établis en 3D à partir de cellules souches (organoïdes). Mes motivations principales étaient d’abord de faire avancer mes travaux de doctorat et donc à moindre mesure la recherche. De plus, au fond de moi, je ressentais l’envie de satisfaire un fantasme de création en inventant quelque chose d’unique et d’utile pour la communauté scientifique. Au départ, l’histoire de STEMNESS Research a démarré à la machine à café lors d’une discussion avec Nicolas Aznar (chercheur au CNRS). Nous discutions de nos problèmes de cultures cellulaires et, à terme, nous avons inventé notre système innovant. Aujourd’hui nous sommes associés !
Par quoi as-tu commencé pour te lancer ?
Je ne me suis pas « lancé » dans l’entrepreneuriat à proprement parler. J’ai commencé par consulter sur internet les formations transversales que me proposait mon école doctorale (ED BMIC). Je me suis intéressé au module intitulé « académie de l’innovation » et y ai postulé. C’est une formation organisée par la SATT PULSALYS qui a pour but de sensibiliser les doctorants et donc les futurs chercheurs à l’innovation. Dans cette formation, on rencontre des professionnels de l’entrepreneuriat, d’autres doctorants venant de secteurs plus ou moins éloignés et on apprend, ensemble, à aller de l’idéation vers la création d’entreprise. Concrètement, on se pose des questions qu’on ne s’était jamais posées, on apprend les bases de la rédaction d’un business plan et surtout on apprend à se lancer et mettre en lumière notre projet. C’est Darina Sainciuc, organisatrice et initiatrice la première édition de cette formation, qui a été l’élément déclencheur principal. En effet, c’est Darina qui m’a convaincu de venir tester mon idée, chose que j’ai faite et qui m’a permis d’obtenir un prix lors du challenge final, événement où les différents projets de l’académie étaient en concurrence amicale.
Vers quelles structures t’es-tu dirigé pour te faire accompagner ?
L’obtention d’un prix à l’académie de l’innovation m’a motivé à poursuivre le projet STEMNESS Research. Je ne savais pas où cela allait me mener mais j’avais décidé d’avancer. Cependant, très vite, je me suis rendu-compte de mon manque en compétences entrepreneuriales. J’ai donc demandé conseils à la SATT qui m’a naturellement orienté vers le PEPITE et incubateur Beelys. J’ai alors postulé à la formation D2E proposée par cet incubateur et ai demandé le statut national étudiant entrepreneur (SNEE et le D2E).
À la suite d’un dépôt de dossier de candidature, si vous êtes présélectionnés, on vous convoque pour vous écouter présenter et « vendre » (pitcher) votre projet. Ayant été retenu, pendant ma dernière année de doctorat, j’ai pu assister à une grande partie des modules qui sont proposés aux étudiants entrepreneurs. Pour ma part, j’ai largement exploité et profité des services prototypages qui m’ont été proposés. J’ai notamment rencontré Nicolas Baudlet (ingénieur prototypage, Beelys) qui m’a aidé à développer toutes les pièces nécessaires au système que je développe actuellement. Pendant ma formation D2E, j’ai également eu le plaisir d’être accompagné par M. Viton (Dir. IUT Lyon1) et M. Gand (Dir. Gand Consulting) qui ont été de véritables mentors. Leur rôle a été de m’écouter, de me conseiller et de me guider pendant mon année de D2E. Aujourd’hui nous sommes toujours en contact. Enfin, j’ai eu l’honneur de rencontrer M. Asquin (Délégué Ministériel à l’Entrepreneuriat étudiant) qui m’a soutenu et qui m’a également permis de présenter STEMNESS Research à Mme la ministre F. Vidal lors du lancement du programme « l’esprit d’entreprendre » annoncé dans les locaux de l’Université de Lyon.
En parallèle de la formation D2E, alors que mon projet avançait et que ma thèse s’achevait, j’ai postulé à l’appel à projet « jeunes docteurs – DoctyBoot » lancé par la SATT Pulsalys en 2019. Ayant eu la chance d’être retenu, j’ai pu participer à une formation entrepreneuriale de trois semaines et présenter mon projet devant un comité d’investissement. Aujourd’hui, je compte parmi les lauréats de la première édition de ce programme. Cela m’a permis de bénéficier d’un accompagnement sur mesure et d’une aide financière traduite sous forme de salaire après l’obtention de mon doctorat.
À ce jour, avec mon associé, nous possédons un prototype fonctionnel qui a été validé dans le laboratoire où nous travaillons (Centre de recherche en cancérologie de Lyon, Centre Léon Bérard). Avec la SATT Pulsalys et le Centré Léon Bérard qui soutiennent mon projet nous réfléchissons aux meilleures stratégies pour que le projet STEMNESS Research puisse voir le jour dans les meilleures conditions.
Quel est ton meilleur souvenir en tant qu’entrepreneur ?
Mon meilleur souvenir en tant qu’entrepreneur a été le jour où j’ai obtenu de très bons résultats avec notre prototype. Chaque fois que je présentais notre idée (sans résultats) je ressentais beaucoup de frustration car les instances qu’on doit convaincre ont besoin d’être rassurées avec des faits solides et vérifiés. Le fait d’être associé à un chargé de recherche du CNRS et d’avoir le soutien du centre de recherche n’était pas suffisant. En effet, pendant longtemps, lorsque je présentais le projet STEMNESS, nous en étions encore au stade de l’idéation. De plus, je n’avais que mes cinq ans d’expérience d’« étudiant » en culture d’organoïdes et le fort sentiment que mon invention pouvait fonctionner. Dès lors que j’avais fait fabriquer le prototype j’ai fait en sorte qu’on puisse le tester en laboratoire. Avec mon associé, nous avons alors fait l’heureux constat que le prototype fonctionnait au delà de nos espérances. Aujourd’hui nous avons démontré l’efficacité de notre système et poursuivons l’aventure !
Quelles sont tes activités à présent. Ta vision du futur ?
Je suis conscient que j’ai pris une route très différente de celle de mes camarades qui s’engagent naturellement vers un post-doctorat à la suite de leur thèse. Comme eux, j’adore les sciences de la vie mais je ne saurai expliquer pourquoi je suis autant attiré par l’entrepreneuriat. Le goût du challenge peut-être ? Si le projet tient bon, il est certain que je ne serai plus un « véritable » chercheur à proprement parler car je devrai principalement construire et maintenir une activité commerciale. C’est pourquoi j’essaye de bâtir le projet STEMNESS sur des bases scientifiques solides et que je me suis associé à Nicolas (chercheur CNRS) qui m’aidera à développer d’autres systèmes innovants. Si jamais l’aventure STEMNESS devait s’achever, je pense que les compétences entrepreneuriales qui ont été acquises durant mes dernières années de doctorat seront d’autant d’atouts pour rebondir vers un emploi stable ou m’associer à un autre porteur projet qu’il soit scientifique ou non.
Deux valeurs ou compétences fondamentales selon toi pour entreprendre :Sans hésiter, l’audace et la persévérance.
Un conseil à ceux et celles qui voudraient se lancer :
Pour celles et ceux qui souhaitent se lancer dans une aventure entrepreneuriale, n’hésitez pas à le faire. C’est une expérience très enrichissante. Certes, on pense souvent aux risques financiers encourus mais je ne pense pas qu’il faille se limiter à cela. En effet, les premières étapes qui permettent de tester son idée sont souvent gratuites et dépendent de la volonté du porteur du projet. De plus, on se rend vite compte par la suite qu’il existe plusieurs dispositifs qui permettent de limiter les pertes. Par exemple, il existe des aides publiques (ex : de la région) qui permettent de prendre en charge en partie certaines de vos dépenses (frais de prototypage, etc..). Bien souvent, si on hésite à se lancer c’est aussi parce qu’on a le sentiment qu’on va aller à contre courant, que le moment est mal choisi et que notre idée est trop précoce. Tout d’abord, il n’y a ni mauvaises idées ni bons moments pour se lancer car les projets ne sont pas fixes mais bien évolutifs, on « pivote » dans le jargon entrepreneurial. C’est la confrontation de nos hypothèses avec la réalité du terrain qui va faire mûrir l’idée de départ et l’orienter jusqu’à ce que le projet se concrétise. De plus, si l’échec nous fait peur et qu’on souhaite se « ranger », il faut bien garder en tête que les compétences qu’on acquiert aident à nous distinguer des candidats émergeant d’autres parcours, souvent plus classiques. Enfin, si on est sûr de rien et qu’on a peur de se lancer en solo, rien n’empêche de rejoindre une aventure entrepreneuriale en s’associant avec un porteur de projet !À mes collègues docteurs :
L’innovation et l’entrepreneuriat sont encore des domaines éloignés de la recherche fondamentale. Cependant, dans un contexte où les postes académiques se font de plus en plus rares et dans un contexte où l’industrie semble « s’intéresser » de plus en plus à nos travaux de haut niveau, surfer sur la vague de la création d’entreprise et/ou du transfert de technologies me semble être une opportunité pour diversifier son portefeuille de compétences et pouvoir se laisser le choix de rebondir vers d’autres métiers en sciences dont on ignore l’existence.
Quels sont les prix que tu as remportés ?
Lauréat du programme jeune docteur par PULSALYS, Mai. 2019
• 2ème Prix Poster scientifique : Journée du Département « Cancer Cell Plasticity » (CRCL), Juin 2018
• Vainqueur du prix « esprit d’équipe », Académie de l’innovation par UDL & PULSALYS, Avr. 2018
• 2ème Prix Poster scientifique : congrès « Cancer stem cells », Nov. 2016
• Concours d’allocations doctorales de recherche – École doctorale BMIC, Juill. 2015
Un mot pour la fin :
Juste un conseil : se lancer sans imprudence et en étant, de préférence, accompagné.
Pour ceux et celles qui souhaitent échanger des informations, Matthias est joignable via son profil Linkedin.